Une journée comme les autres, pourtant désormais il y aurait un avant et un après. 4h53 PM un bruit dans le lointain, comme un rugissement qui s'avance, dix mille chevaux au galope? Un train à grande vitesse? Non! C'est le cri de la nature qui se déchaîne et déferle sous nos pieds comme des vagues, des vagues de terre. Un séisme de magnitude 7,3 sur l'échelle de Richter est enregistré à seulement 17 km à l'ouest de Port-au-Prince. En seulement 35 petites secondes, notre vie a changé à jamais! Comment 35 secondes peuvent-elles durer si longtemps? Comment ces quelques secondes ont-elles pu ruiner et détruire à ce point? Frappant la zone la plus peuplée de l'île, ce tremblement de terre provoque la mort de quelque 220 000 personnes et en blesse 300 000 autres. Près de 100 000 immeubles, 250 000 maisons et 30 000 commerces sont détruits. Dans la capitale, 1,5 million de sinistrés se retrouvent sans abri et sous le choc. Les murs et les remparts censés nous protéger sont devenus des pièges mortels, des armes, des cages. La terre, notre mère nourricière qui supporte nos pas, nos maisons s'est fissurée comme une toile qui se déchire, laissant le vide sous nos pieds, balayant sous son passage tout ce que nous avons toujours cru solide, durable, impérissable. 12 janvier 2010, révélation de la fragilité de notre existence, de notre égalité face à la souffrance, à la mort, au désespoir. D'un seul coup, sous la fureur de la terre, nous nous retrouvons tous couverts de poussière, essayant de comprendre l'impensable. Nous ne savions pas, nous de cette génération, que notre terre pouvait se révolter, nous ne savions plus que cette terre pouvait crier, que cette assurance que nous avions dans nos maisons, nos voitures étaient éphémères et qu'il suffirait d'un rien pour que tout s'effondre. 12 Janvier 2010, tant de morts sans sépultures, tant de cimetières inconnus, tellement, tellement de larmes versées que nous en sommes arrivés à pleurer sans larmes. Ces cris dans la nuit qui résonneront à jamais dans nos âmes. Ces êtres aimés auxquels on n'a pas pu dire adieu, ces disparus avalés dans le ventre de la terre. Ces êtres brisés qui errent ça et là et ceux qui attendent, attendent ceux qui ne reviendront plus. Nos cœurs saignent, nous espérons nous réveiller et voir que ce n'était qu'un cauchemar. Mais c'est la réalité, la triste, la dure réalité avec laquelle nous devrons désormais vivre. 12 ans après, vraiment après ! quand on parcourt les rues de Port-au-Prince et d'autres villes affectées par ce séisme on a parfois l'impression d'être toujours au lendemain du drame. Si la majorité des camps ont été désaffectés, nombreuses sont les constructions fragilisées, fissurées qui sont encore debout, cicatrices béantes, danger imminent. Rien n'a été fait pour prévenir une prochaine catastrophe de ce genre, cela a été maintes fois dit dans le passé, pourquoi penser que cela ne recommencera plus. Et c'est ce qui justement s'est produit le 14 août 2021, un autre tremblement de 7,2 de magnitude. Dieu étant clément, cette fois-ci elle a frappé aux environs de la commune de Petit-Trou de Nippes à 150 KM à l'ouest de Port-au-Prince. Au moins 2 248 morts, 12 763 blessés et 329 personnes disparues. Si ce séisme avait eu le même point d'impact que celui de 2010, l'horreur se serait déclenchée car les édifices étaient cette fois beaucoup plus fragiles. 12 ans que nous vivons en nous disant que Dieu est grand, Dieu est bon, où l'État ne fait rien contre ce fléau qui se renouvellera un jour ou l'autre et qui de nouveau nous mettra à genoux implorant le secours du ciel. Au nom des victimes, pour les survivants, pour les héros et héroïnes qui nous ont arrachés avec leurs ongles des entrailles de la terre, pour nous qui sommes restés traumatisés à jamais, nous avons le devoir de ne jamais oublier ce jour. Même si nous perdons peu à peu ce qui nous reste d'humanité, pour eux et pour nous surtout, n'oublions pas car un jour de nouveau la terre se dérobera sous nos pieds.
11 janv., 2022